Les « mauvais » sentiments : Atelier ALBUMS des 5 et 12 décembre 2024

Les guillemets s’imposent !

Il est évident que ces sentiments font partie de l’univers enfantin, et ont besoin de s’exprimer d’une façon ou d’une autre. C’est plutôt leur répression qui causerait des ravages, et il est bon que des livres puissent aider les enfants à tirer au clair ces « mauvais » sentiments !

La jalousie tient une place importante dans les rapports qu’entretiennent entre eux les enfants. Difficile d’accepter que son meilleur copain ait subitement besoin d’un autre copain « en plus » ! On trouvera cette situation dans Norbert le bon mauvais copain et John Brown, Rose et le chat de minuit. Quant à l’héroïne de La vengeance de Germaine… c’est tout simplement un sentiment dévorant d’envie qui l’anime.

Difficile de maîtriser sa colère : elle s’étend comme un torrent de lave et vous fait revenir au stade de monstre antédiluvien, tel le Bronto mégalo saure. Elle peut cependant être une saine colère qui conduit à une juste révolte contre les stéréotypes de genre, comme La petite rouge courroux.

Le mensonge créée une situation qui vous emprisonne. Comment en sortir ? C’est ce qu’analyse très finement Le mensonge.

La mauvaise humeur peut empoisonner l’existence, aussi bien la vôtre, comme dans Banquise blues, que celle de toute votre famille, quand le Crafougna prend le pouvoir.

Les rapports de domination existent bel et bien dans monde de nos chers petits : situation passagère dans C’est moi qui décide, mais véritable harcèlement dans Rouge. Mais heureusement, tout peut finir dans le rire avec Raoul la terreur !                

LA JALOUSIE

Norbert, le bon mauvais copain. Ryan Higgins. Albin Michel. (Bibl. Bonnefoy)

Norbert est un porc-épic. Mireille est un arbre. Ensemble, ils sont heureux. La vie est douce pour ces deux amis inséparables. Mais quand un autre arbre fait son apparition, l’harmonie est menacée. « Tout à coup, il n’y eut plus seulement Norbert et Mireille. Il y eut Norbert, Mireille et un autre arbre. » Norbert panique : et si celui-ci le remplaçait dans le cœur de Mireille ? Dans un élan de jalousie, il tente d’éliminer son rival. Mais rapidement, il est tourmenté par la culpabilité, se demandant si faire souffrir Mireille n’est pas pire que de la voir avec un autre compagnon... Une analyse fine de la jalousie, un sentiment fréquent chez les enfants, à qui il faut apprendre à partager… ce qui n’est pas facile ! A partir de 6/7 ans.

John Brown, Rose et le chat de minuit. Jenny Wagner/Ron Brooke. Il était deux fois. (Bibl. LFL31)

Rose est une gentille vieille dame. Depuis la mort de son mari, elle mène une vie heureuse avec son gros chien John Brown. « Nous sommes bien, John Brown, rien que nous deux, toi et moi ». Mais l’intrusion du mystérieux chat de minuit va bouleverser leur existence. Rose est intriguée, elle voudrait connaître ce visiteur, mais John Brown tourne obstinément la tête. Chaque soir, en cachette, elle met devant la porte un bol de lait, que le chien renverse. Jusqu’au jour où Rose, malade et triste, ne se lève pas. Après une longue journée de réflexion passée le museau sur la pantoufle de Rose, John Brown finit par se résoudre à faire entrer le chat. Un livre pénétrant sur la jalousie : ce n’est pas facile d’admettre qu’on ne suffit pas au bonheur de la personne qu’on aime. Les thèmes de la vieillesse et de la solitude sont abordés avec délicatesse, dans cet album aux illustrations tout en douceur, un peu désuètes. A partir de 6/7 ans.

La vengeance de Germaine. Emmanuelle Eeckhout. Pastel. (Bibl. LFL31)

Tout le monde s'entend bien à la ferme. Enfin presque. Germaine et Lulu ne peuvent pas se voir en peinture. Lulu est une belle poule bien ronde et très coquette avec ses bas résilles rouges. Elle a des tonnes de copines et de nombreux prétendants. Pondeuse hors compétition, ses gros œufs donnent naissance à six coquelets vigoureux et bons élèves. Germaine est une grande bringue toute sèche, le nez crochu, du poil aux pattes, la mauvaise humeur comme mode de vie et des mauvais tours pour Lulu comme passe-temps. Son fils a hérité de son mauvais caractère et travaille très mal à l’école. Un jour, n'en pouvant plus, elle décide de passer à l'action afin que Lulu soit choisie… pour passer à la casserole. Un conte de ruse où la poule engraissée finit bel et bien dégustée, et l'engraisseuse de fait se trouve bien tranquille. Un crime parfait en somme, savoureux et piquant, qui détonne pour une fois avec le politiquement correct quasi-omniprésent en littérature jeunesse : le méchant triomphe et, loin d’être puni, il est récompensé. Un album grinçant pour aborder la jalousie et la différence. A partir de 6/7 ans.

LA COLÈRE

Bronto mégalo saure. Davide Cali/Sébastien Mourrain. Sarbacane. (Bibl. LFL 31)

« Axel est un enfant très sage. Il est gentil, il partage ses jouets, il aime faire ses devoirs et aider à débarrasser la table. Mais ce qu'il préfère, c'est ranger sa chambre ». STOP ! C'est faux ! Axel déteste ranger sa chambre. La preuve : il suffit de lui demander de le faire pour provoquer une réaction cutanée terrible. Sa peau se couvre d'écailles, son dos se hérisse de piquants et une longue queue lui pousse au bas du dos. Le voilà transformé en bronto-mégalo-saure. Et quand le bronto-mégalo-saure est en colère, rien ne l'arrête ! (sauf, peut-être, la bonne odeur du gâteau de Mamie...) Une histoire amusante. Elle permet d'aborder avec les enfants le thème de la colère, celle qui transforme les petites têtes blondes en monstres intenables ! A partir de 5 ans.

La petite rouge courroux. Raphaële Frier/Victoria Dorche. Sarbacane. (LFL 31)

Savez-vous pourquoi le Petit Chaperon Rouge est rouge ? Parce qu’elle est rouge de colère ! Elle est rouge, la petite : rouge courroux. Parce qu’elle a toutes les corvées de la maison sur le dos, que son père ne veut pas qu’elle sorte, que son frère la nargue et, pire, parce que sa mère ne dit rien contre tout ça. Ce matin, on lui demande de faire une galette au beurre pour sa grand-mère qui l’aime tant : « Et le frère alors ? Pourquoi il ne fait pas la galette, lui ? -Il la lui portera. - Et pourquoi pas moi ? -C’est trop dangereux, tu pourrais rencontrer le loup ! » La petite n’en a cure : elle est rouge écarlate, cette fois. Le loup n’a qu’à bien se tenir, face à la colère géante de la rouge rebelle !... Une habile revisite du Petit Chaperon Rouge, avec une portée résolument féministe!  Cet album est un point de départ intéressant pour réfléchir et discuter avec les enfants de l'égalité entre les filles et les garçons. On peut également réfléchir sur la colère, qui n'est pas qu'une émotion négative et sert aussi à se battre contre les injustices et à affirmer son identité. On aime bien les illustrations qui sont colorées, nerveuses, comme peintes dans l’urgence, et qui expriment l'énergie et la colère de la petite fille. A partir de 8 ans.

LE MENSONGE

Le mensonge. Catherine Grive/Frédérique Bertrand. Rouergue.

C’est l’histoire d’une petite fille qui se réveille un matin avec un gros mensonge. Elle ne sait pas pourquoi elle a dit ça, les mots sont sortis tout seuls de sa bouche. Presque rien, un mensonge pas plus gros qu’un petit pois. Mais il prend peu à peu la forme d’une boule rouge dont elle n'arrive pas à se débarrasser, qui se met à grossir, persiste et devient entêtante. Comment vivre avec cet intrus qui prend toute la place ? Va-t-il éclater un jour et la laisser tranquille ? C’est ce qui finit par se passer, et la petite fille est bien soulagée ! De ce mensonge, on ne saura pas un traître mot… et c’est ce qui fait la force de l’album. Celui-ci nous entraîne dans une spirale, le chemin pris par les enfants quand leur imaginaire les amène à démesurer certains événements qui au final s’avèrent sans importance et indécelables à l’œil nu pour les adultes. Un texte simple et ciselé qui fait une belle place aux illustrations de Frédérique Bertrand. A partir de 5/6 ans.

LA MAUVAISE HUMEUR

Banquise blues. Jory John/Lane Smith. Gallimard. (Bibl. LFL 31)

Sur la banquise, un petit manchot se plaint à longueur de journée. Parmi tous ses congénères massés contre les congères, il se plaint... de tout ! Il a froid, il a faim, son bec est gelé, il est perdu... Mais allez retrouver un manchot dans une cohorte de manchots ! Non seulement il doit subir le froid, la neige et tous les prédateurs, mais il lui faut supporter ses propres congénères. En plus, il trouve sa démarche ridicule ; se plaint de ne reconnaître personne, de ressembler à tout le monde, de laisser tout le monde indifférent... Ce n'est pourtant pas vrai : un morse philosophe lui montre qu'il vit dans un endroit magnifique, qu'il est aimé et que la vie est belle. Et ça marche ! Oui, bon… Enfin, ce n'est pas gagné !… Le texte de Jory John est plein d'humour et se moque gentiment du petit pingouin. Les illustrations de Lane Smith sont sublimes et ce n'est pas simple quand il s'agit d'illustrer un univers entièrement blanc et noir ! Les enfants aussi ont aimé, puisque l’album a reçu le Prix des Incorruptibles 2019-20. A partir de 5 ans.

Le Crafougna. Stéphane Servant/Anne Montel. Didier jeunesse.

« Un dimanche soir, le Crafougna est entré sans bruit dans notre maison... » Ainsi débute l’histoire du Crafougna, cette énorme bête velue qui décide soudainement de s’installer avec une famille.  « J'ai mis le Crafougna à la porte, mais il est entré par la fenêtre. Je l'ai fait sortir par la fenêtre, mais il est revenu par l'évier. Je l'ai poussé dans l'évier mais il est ressorti par la télé ». Impossible de s'en débarrasser ! Successivement, tous les membres de la famille vont alors « crafougner » : le petit déjeuner ne sera pas préparé, papa crafougnera dans son lit, encore en pyjama, la grande soeur ne voudra pas jouer dans le jardin, le Crafougna la retenant en otage devant la TV… Seul le héros de l’histoire ne se laisse pas faire ! Il va falloir sortir toute cette petite famille de sa crafougnerie aigüe, et pour cela, employer les grands moyens. Finalement « Papa, maman et ma soeur se sont mis à sourire. A rire. A rigoler ! Ça n'a pas plu au Crafougna. Il nous a regardés avec ses yeux crafougneux et il est parti en râlant : « Et crafougni, et crafougna...! » Un album qui traite de manière humoristique un sujet peu abordé dans la littérature jeunesse : la mauvaise humeur, la déprime. A partir de 6/7 ans.

LES RAPPORTS DE DOMINATION

C’est moi qui décide ! Ingrid Olsson/Anete Melece. Versant Sud. (Médiathèque Cabanis)

Y’en a marre : maman veut tout le temps venir chez son nouvel amoureux. Quelle tuile ! En plus, il faut jouer avec son fils, Arnold, qui n’est qu’un bébé, ou presque, et passe son temps à suçoter sa tétine. Cette fois, c’est moi qui décide ! Alors je cache sa tétine. Puis, je décide qu’on va jouer au prisonnier en l’enfermant dans son bac à jouets. Oulala, il se met à pleurer ! Bon, cette fois, c’est moi qui vais me cacher et lui faire une surprise !... C’est moi qui décide ! parle de se retrouver catapulté en compagnie d’autres enfants qu’on n’a pas forcément choisis. Par exemple, ceux du nouvel amoureux de maman… Les personnages sont attachants et crédibles. Des dessins au crayon de couleur tout à fait sympathiques et expressifs, dans le style « dessins d’enfants ». Un thème important et d’actualité pour beaucoup d’enfants : l’histoire d'une famille en cours de recomposition. A partir de 6/7 ans.

Rouge. Jan de Kinder. Didier jeunesse. (Bibl. Bonnefoy)

« Au début, ça se voyait à peine. C'était tellement discret que personne ne l'avait remarqué. Sauf moi. J'ai pointé du doigt les joues d'Arthur. Eh, t'es tout rouge ! » ... Les joues d’Arthur s’empourprent dès qu’on lui adresse la parole. Remarquant cela, une camarade de classe (la narratrice de l’histoire) le pointe du doigt en riant. Et c’est là que l’innocente moquerie vire au cauchemar ! Tout va alors très vite. Un clin d'œil à Paul, un coup de coude à Ronan, un gloussement de Léna, et c'est parti : tout le monde se met à chuchoter en regardant Arthur. Ce dernier devient la cible de Paul (la terreur des préaux) et de toute la classe… La narration faite par la petite fille qui assiste à l’escalade de la violence montre l’intimidation exercée par le groupe : elle est elle-même terrifiée et incapable d’intervenir. Une analyse très juste de la dynamique de groupe et du harcèlement à l’école. Les illustrations en bichromie noir et rouge soulignent la violence du phénomène et la gravité du propos. A partir de 7 ans.

Raoul la terreur. Claire Cantais. Atelier du poisson soluble. (Bibl. LFL 31)

Tout rouge, des yeux qui semblent lancer des étincelles et chapeau de mafieux vissé sur la tête, Raoul la terreur est une vraie brute. Il terrorise les autres boules de poils qui décampent dès qu'il s'énerve un peu. Cela semble très satisfaisant pour lui de diriger son monde de la sorte, jusqu'au moment où une petite boule de poils bleus lui tient tête. Raoul le traite avec condescendance : « Dégage, petit ! – Non. J’suis bien là. » Ce plus petit que lui analyse alors la cause de sa méchanceté… Et la chute met tout le monde d'accord ! Dans l'adorable collection de l'Atelier du Poisson Soluble, avec une belle boule de fourrure rouge sur la couverture, un petit album adoré des petits, et qui fait bien rire les plus grands. A partir de 4/5 ans.

Et nous nous retrouverons

pour les prochains ateliers Albums 

ayant pour thème  : les 5 sens

Jeudi 13 Mars de 14h30 à 17h

OU

Jeudi 20 Mars de 10h à 12h30